Les articles pro et anti-prostitution se neutralisent ces jours-ci dans les médias. Leur seul intérêt, c’est de réveiller sur un sujet (apparemment) fastoche, quelques grandes consciences comme Christine Angot ou Yann Moix, qui délivrent au peuple leur avis essentiel, avant de récidiver sur Taubira. L’une, sotte de naissance, l’autre par calcul. Les libérés s’opposent aux réacs, la gauche à la droite, on a déjà vu ça le 19 juillet 2001, soit 54 jours avant l’effondrement des tours jumelles (la première tombée, la seconde n’a pas survécu à la pulvérisation de sa sœur, elle est aussitôt morte de chagrin), lorsque la gaucho-porno Catherine Millet battait le catho-facho Charles Millon par KO chez Ardisson. La digue morale avait lâché, le tout-fion avait gagné, il allait déferler sur une France humide.
Aujourd’hui, le débat ne se situe pas chez la mère maquerelle Élisabeth Lévy, qui héberge dans son bar-boxon Causeur les 343 salauds qui montent avec des putes (20 000 euros de budget mensuel braguette & reniflette pour Fredo, c’est beaucoup quand même, mais ça crée de l’emploi), ni chez Isabelle Alonso la féministe oubliée (qui essaye de redorer son image de castratrice avec un livre de cul), flanquée de Libé (qui titrait il y a peu sur le bonheur d’être pute, et qui héberge le blog les « 400 culs » d’Agnès Giard sans qui les stats de pages vues du quotidien en ligne seraient inquiétantes) et de Rue89, déchirés entre la sexualisation rampante de leur contenu pour des raisons de survie, et leur morale féministe de gauche najatique… Coincés, les décoincés ! Un grand écart conceptuel qui fait beaucoup rire le camp d’en face, qui ne souffre pas de ce genre de contradiction interne.
La putain, objet et sujet de surconsommation
Non, le débat est dans la fabrication d’une prostituée, ou d’une actrice porno, c’est pareil, à la différence près qu’il y a une prestation physique, et une prestation virtuelle. Les deux étant masturbatoires, tarifées, dénuées d’amour. Aucun jugement là-dedans. D’ailleurs, depuis l’effondrement de l’industrie du porno « classique », qui s’est mangé la torpille Internet dans l’oignon, avec sa gratuité meurtrière pour les marges, certaines hardeuses font des passes. Il n’est pas rare de les voir assurer un extra en club chic, privé pour l’occasion, débarquant à deux ou trois, avec leurs accessoires (fouets, godemichés, liens), pour mettre un peu d’ambiance chez les VIP qui s’emmerdent.
Un célèbre animateur télé castait des hardeuses dans ses émissions, qu’il attrapait ensuite à l’hôtel d’en face. L’invitée en tant que « comédienne X » se changeait alors en « prostituée » hors plateau. Depuis la crise de l’industrie du « charme », des producteurs-réalisateurs pornos ont transformé leur casting filles en catalogue de call-girls spécialisées, culture littéraire mise à part. La banlieusarde à gros seins piercée de 19 ans ne boxant pas dans la même catégorie que la longue étudiante en Droit des beaux quartiers, qui illumine les books qu’on réserve aux cadres supérieurs des médias méritants. Ou qu’on feuillette chez les ministres. Quoique la hardeuse a connu son heure de gloire il y a une décennie, lorsque les animateurs télé hétéros voulaient absolument la connaître mieux. Et qu’elle passait de main en main... Pour finir sur le carreau, par prendre sa retraite, et élever un enfant à la merci de dizaines de pages de liens douteux avec maman et plein de papas sur Google…
- Ovidie, philosophe
L’hypersexualité est un totalitarisme
La fabrication d’une prostituée, c’est simple, et brutal à la fois : il ne s’agit pas d’un choix, chaque putain ou hardeuse ayant subi une agression sexuelle plus ou moins grave, plus ou moins répétée, dans l’enfance (souvent inconsciente) ou l’adolescence (faussement choisie). Un fait marquant que seule une minorité admet, les autres étant soit dans un violent déni (« je fais ça parce que j’aime ça, connard »), soit dans une complète pathologie. Le viol menant à l’hypersexualité, déviance par rapport à une normalité sexuelle indéniable. L’hypersexualité étant comprise comme la multiplication de rapports non-satisfaisants, par définition. Un rapport sexuel satisfaisant ne fonctionnant pas sur ce registre obsessionnel, répétitif, incompris. De cette eau vous aurez toujours soif…
Shame, ce film très dur sur l’hypersexualité d’un frère (Michael Fassbender) et d’une sœur montre qu’un viol dans l’enfance ne fait pas forcément de sa victime un prostitué physique ou virtuel : on peut avoir un super job dans une grande société, et assouvir ses vices salingues en secret, incapable d’échapper à la furia des pulsions incontrôlables. C’est un destin, une force, une loi. Quand le sexe prend le pouvoir, il ne le lâche plus.
Alors, on « choisit » de devenir comédienne X, après avoir fait du « lap dance », ou quelques shows érotiques, accompagnée de son « copain », qui aime bien aller dans des « soirées échangistes ». Une graduation dans la pathologie, une descente à la cave camouflée derrière l’astuce lexicale qui consiste à s’habiller de « liberté », de « libération » – ces justifications piège – dans le domaine du « plaisir » : si c’est du plaisir, alors ça ne peut pas être maladif ! Eh si. Ce qui ne veut pas dire que le sexe en soi est pathologique, ni que le fétichisme est le fait de grands malades. C’est la surconsommation de sexe sous toutes ses formes qui doit alerter, surtout quand ce dérèglement hormonal et/ou psychologique touche le social (l’intime, lui, étant déjà sacrifié). Le clignotant passant au rouge quand la sexualité d’un individu commence à détruire son couple, puis ses relations sociales, activité chronophage qui finit par bouffer le cerveau entier.
Redonner au corps sa valeur perdue
Le lien viol-prostitution (porno-physique ou porno-graphique) est connu des spécialistes de l’adolescence brisée en général, et du suicide adolescent en particulier. Le suicide de jeunes homosexuels « honteux » est plus souvent le fait d’un viol (qui intervient au moment d’une recherche identitaire ou de la plasticité sexuelle), de la culpabilité qu’il génère, de la perte d’identité sexuelle qu’il provoque, que de l’acte lui-même, qui peut être plaisant, car pas forcément détecté comme une agression. Ainsi cette homosexualité serait une déviance, dans le sens de déviation, d’aiguillage dû à un accident de la vie, l’homosexualité de naissance étant plus rare (des enfants qui naissent avec un système endocrinien plus ou moins développé pour leur genre). Un gros animateur télé étonne ainsi les call-girls qu’il rémunère pour… faire la femme et elles l’homme.
En tous les cas, la perte d’estime de soi produite par le viol explique pourquoi le corps du violé peut ensuite être vendu, marchandisé : il doit retrouver de la valeur, la valeur qu’il a perdue. Il est alors monnayé, mais doit prouver chaque jour sa valeur (sexuelle et identitaire) aux yeux des autres, qui le consomment, et le valident ce faisant. La putain, comme le putain, jouit avant tout de la revalorisation relationnelle et sociale (montrée, exhibée) de son corps, qui ne valait plus rien avant cette transaction. Revalorisation qui passe par une survalorisation comptable : plus je pratique, plus je (crois que je) renforce, reconstruis mon identité. Mais en vérité, je reproduis le schéma du trauma originel.
L’hypersexualité est donc non pas un désir, mais ce besoin de cautérisation de l’agression sexuelle. Tout en étant impulsée par ce traumatisme originel. Qui fonctionne comme une pile d’uranium : tant que l’acte traumatique fondateur n’est pas compris comme tel (le corps se ment très bien à lui-même), il est reconduit, reproduit, jusqu’à la nausée. Ce qui explique le phénomène de sur-sexualité en fréquence et en intensité. Et pourquoi les « sorcières » finissaient brûlées… ou dans les Ordres, au Moyen-âge ou chez Boudard, avec Madame de… Saint-Sulpice, ou sa Chère Visiteuse... Abstinence totale, à l’ancienne, la méthode dure, qui a le mérite d’éviter d’enrichir les nouveaux guérisseurs de l’addiction, eux-mêmes accrocs aux médias, comme le fameux Dr William Lowenstein.
Du corps individuel au corps social violé
Or, chez les gens non-violés, heureusement la majorité, cette valorisation, naturelle, qui est aussi autoprotection, n’a pas lieu d’être prouvée, éprouvée dans l’acte, qui plus est marchand ! Ce dernier est au contraire vécu comme une dégradation de soi, physique et morale, une perte de souveraineté. La prostitution physique ou virtuelle est dégradante, non pas en soi (l’acte sexuel n’est pas traumatique en soi, au contraire), mais parce qu’elle est le produit d’une dégradation physique puis morale. La fuite en avant, l’oubli de soi (notamment dans la drogue), la plongée dans le sexe ne soignant rien : l’angoisse transpire à travers l’accumulation. Une angoisse indicible menant souvent à la dépression, et parfois au suicide.
Le débat pour ou contre la prostitution, qui préfigure le suivant, pour ou contre le porno, n’est donc pas le bon. Parce que la prostitution, ou processus de dévalorisation/revalorisation du corps, n’est pas un choix, mais une tentative logique (compréhensible mais vouée à l’échec) d’automédication. Il n’y a pas de débat, il n’y a que de la connaissance. Et même si la marchandisation du sexe va dans le sens du système, qui promeut dangereusement la « putain creuse » (qui encourage en retour la surconsommation « plaisir »), voir Nabilla et consorts, certains gauchistes encore lucides, paniqués, voient vers quoi cette tendance systémique mène la société entière : la prostitution totale des corps et des esprits, grâce à la destruction de la morale. Le système n’est pas seulement violent, il est aussi violeur.
- Le viol, c’est tendance